samedi 24 décembre 2011

Les revendeurs à l'aube d'un bouleversement majeur

Pour les revendeurs informatiques de petite et moyenne taille, depuis quelques mois, l’activité est au ralenti. La réalité est que la profession, pour l’ensemble du channel représenté par ces revendeurs, est incontestablement dans un virage très serré, limite épingle à cheveux. Et tous ceux qui n'ont pas mis leur ceinture de sécurité vont droit dans le mur ! Et le choc sera pire pour ceux qui avaient déjà, en plus, les pneus un peu sous-gonflés ! Emmanuel André, gérant de l'entreprise AEIM, nous livre son analyse.

Ce constat, c’est celui des revendeurs informatiques avec qui je discute régulièrement. Et mis à part quelques exceptions, la grande majorité affiche un pessimisme digne de placer la profession toute entière sur la première marche du podium de la morosité !
Et ils apportent de l’eau à leur moulin pour prouver, point par point, qu’ils ont raison d’être inquiets !

Les raisons sont multiples et, sur un plan économique général, les responsables tout désignés, c’est le triple A, c’est la Grèce, c’est Berlusconi, la Chine, les élections présidentielles de 2012, l’endettement de la France et celui des ménages, les agences de notations, le cloud, les business models en train de changer, bref… des tas de causes totalement extérieures à la profession relayées par les médias qui, en déversant des messages anxiogènes, entretiennent un climat de crise.

A mon avis, cette catastrophe (car c’est bien d’un bouleversement de grande ampleur dont nous parlons) était prévisible de longue date ! En revanche, les causes ne sont pas forcément celles qui sont pointées du doigt !

Depuis plusieurs années, les taux de marge appliqués par les revendeurs sont en constante baisse, la concurrence frontale de la grande distribution et du E-commerce positionnant les revendeurs dans une course sans fin à l’alignement des prix vers le bas, et donc vers la diminution de leurs marges (les prix d’achats des revendeurs quant à eux, ne bougent pas d’un iota). Tout cela car l’acheteur final- grand public et certains professionnels - a comme bible de référence : Internet. Dieu tout puissant, détenteur du savoir absolu, de la science infuse, et de la seule et unique Vérité. Avec un grand V !

Je discutais récemment avec un journaliste IT qui me citait les propos d’un économiste sur notre profession, déclarant que pour lui, les revendeurs informatiques étaient un non-sens économique, et se demandait comment nous vivions. La réalité est que beaucoup d’entre nous ne vivent pas : ils survivent ! Avec les taux de marge pratiqués par les revendeurs, la pérennité d’une boutique est effectivement sérieusement mise à l’épreuve. Ceux d’entre nous qui ont un peu de volume et ceux qui s’adressent aux professionnels résistent tant bien que mal. Les autres sont soit en sursis, soit en voie d’extinction.

Qui est réellement responsable de cette extinction programmée ?
Sur le banc des accusés, plusieurs prévenus : la grande distribution, le E-commerce, les revendeurs eux-mêmes, les consommateurs, et enfin les constructeurs.

La grande distribution a découvert le créneau de l’opportunité de l’informatique au milieu des années 1990. Leur arrivée dans le milieu est résumée par ces deux actions : premièrement, casser les prix , deuxièmement, faire du volume. La méthode est bougrement simple : pas de personnel compétent ou techniquement qualifié, du matériel d’entrée de gamme, de petite facture, positionné à bas prix, entre les boîtes de conserves de flageolets et le papier toilette chez les uns, et entre les lits à baldaquin et les abattants de WC chez les autres. Les constructeurs mis en avant sont Acer, Packard Bell, HP, Compaq, Unika, ... C’est un premier coup pour les revendeurs. Ces enseignes captent une partie de clientèle principalement constituée par le grand public. Si, sur les unités centrales commercialisées par ces grandes enseignes, les revendeurs ne se considèrent pas en concurrence directe, il n’en est pas de même pour les périphériques : les références proposées par les revendeurs et les enseignes sont les mêmes. A l’époque, on trouve des imprimantes (généralement HP, Canon) à des prix que les revendeurs sont incapables d’afficher ! C’est le début pour les revendeurs de la recherche de références non distribuées par ces grandes enseignes, afin de se démarquer de ces nouveaux concurrents. Mais la guerre des prix est déclarée, avec comme seule arme pour les revendeurs qui décident de faire face, l’inévitable diminution de leur marges pour, au mieux, essayer d’approcher les prix affichés par ces enseignes.

Les sites de E-commerce entrent en jeu de manière massive quelques années plus tard. Cette fois, compte tenu des faibles charges de ces structures et du potentiel en termes de volume, les prix de vente chutent de manière spectaculaire. Les constructeurs flairent un canal de distribution exceptionnel pour faire du volume, et les offres faites aux cyber-vendeurs par les constructeurs sont affligeantes. Certains constructeurs avouant même perdre de l’argent pour faire du volume ! C’est à partir de cette époque que certains revendeurs commencent à disparaître. C’est bien ici que l’extinction à débuté. Certes, les règles ne sont pas les mêmes que celles des revendeurs : Garantie moindre ou limitée, subterfuge de vente forcée par ajout de services, ajout d’options et d’accessoires… Un nouveau marché concurrentiel auquel n’étaient pas préparés les revendeurs. Des taux de marge à 3 ou 4% sont tout simplement impossibles pour le détenteur d’un commerce avec du personnel qualifié ! Pour payer un seul salaire, il faudrait qu’un revendeur ne facture pas moins de 600 imprimantes entrée de gamme à 99 €, par mois ! Je défie n’importe quel petit revendeur d’avoir jamais atteint de tels quotas ! Et de tripler ce chiffre pour couvrir l’ensemble des charges mensuelles ! Les frais de fonctionnement et les volumes sont radicalement différents entre revendeurs et E-commerce. Les revendeurs prenaient cette fois un bon uppercut !

Les revendeurs se plaignent de leur sort, chacun dans leur coin. Aucun élan fédérateur capable de réunir les forces de la profession ne se met en place pour contrer, pour préparer la stratégie de demain face à la débâcle constatée. Chacun subit au lieu d’essayer d’être maître de son avenir. On leur reprochera d’avoir beaucoup trop tardé à se mettre en groupement pour tenter d’influer sur la politique des constructeurs, et discuter avec les grossistes. S’il existe aujourd’hui quelques petites poches de résistance, parsemées sur le territoire, et quelques tentatives de groupement, la réalité est que sans l’adhésion de la totalité des revendeurs, tous réunis dans un seul syndicat ou une seule fédération, la balance ne penchera jamais du bon coté ! La solution n’existe pas sans une étroite collaboration entre les revendeurs et les constructeurs. L’issue bénéfique à tous passe forcément par une valorisation des produits à leur juste prix et la reconnaissance de la force des revendeurs. Quelle est l’action que seuls les revendeurs peuvent avoir ? Prendre à grande échelle la décision de boycotter une marque ? C’est évidemment la pire chose qui puisse arriver à un constructeur, mais le revendeur ne scie-t-il pas la branche sur laquelle il est assis ?

Les consommateurs quant à eux, profitent de la loi du marché. Investir à moindre coût. Du coup, le retour au « commerce » de proximité n’est pas d’actualité car c’est le portefeuille qui parle en premier par les temps qui courent. Et les revendeurs de voir de plus en plus de clients venir se renseigner dans leur commerce pour être aidé pour leurs achats futurs, qu’ils feront … sur internet ! C’est un paradoxe : les revendeurs sont reconnus pour leurs compétences techniques, leur professionnalisme, leur conseils avisés, mais sont exclus du processus d’achat lors du passage à l’acte. Quelquefois pire : l’achat à eu lieu, en grande distribution ou en E-commerce, et les consommateurs se retournent vers les revendeurs pour la mise en service ou la mise en réseau ! Je n’ai pas de réponse toute faite à ces nouveaux comportements. Juste une indication : « allez-voir sur démerdez-moi.com », en attendant de pouvoir éduquer ces nouveaux consommateurs en leur faisant toucher du doigt l’importance d’intégrer et de privilégier un acteur local et compétent dès le début de leur process de décision d’achat. Il doit en être de même pour les établissements publics, collectivités locales, mairies… Comment ces institutions peuvent-elles imaginer faire prospérer une ville, un département, une région sans impliquer les acteurs locaux ?

Pour les constructeurs, c’est une enquête à charge ! Des tas de questions leurs sont posées : pourquoi ont-ils un référentiel de prix publics et tolèrent-ils que ce référentiel soit bafoué de manière spectaculaire ? Il est certes interdit de fixer les prix, mais il n’est pas interdit de ne plus se faire distribuer par les casseurs de prix ! Pourquoi mettent-ils en place sur leur portail des vitrines marchandes, au lieu de laisser la diffusion de leurs produits aux revendeurs ? Quel est l’intérêt pour des constructeurs ayant choisi d’avoir un canal de distribution terrain de concurrencer directement ce canal de diffusion en pratiquant la vente en direct via leur site internet ? Pourquoi favorisent-ils le E-commerce et la grande distribution en pratiquant des cotations insolentes ? Pourquoi une même référence chez un revendeur ou en e-commerce/grande distribution ne dispose pas toujours des mêmes garanties et des mêmes composants, induisant forcément les clients finaux en erreur ? Pourquoi les filiales françaises ne sont pas capables de justifier à leur maison mère que l’économie européenne ne peut pas répondre aux mêmes lois de marché que l’Asie ? Combien de temps vont durer les stratégies mondiales de volumes dictées par des directions dont l’ambition est d’être le N° 1 en terme de quantités distribuées, plutôt que d’être le N°1 en terme de rentabilité ? Pourquoi délaissent-ils les revendeurs qui sont pourtant leur première vitrine commerciale avec plus de 6.000 points de vente ? Comment pensent-ils faire du business une fois que leur vitrine commerciale n’existera plus et qu’il ne leurs restera plus que le dictat d’acheteurs de grande distribution ou de E-commerce, peu scrupuleux, qui leur fixeront leur prix de vente – à prendre ou à laisser - ? Que feront-ils si l’ensemble des détaillants est capable de se grouper et décide de lâcher les constructeurs qui ne respectent pas les revendeurs ?

Au final, seuls les grossistes semblent exemptés de fautes. Nous savons que leurs marges sont tout à fait raisonnables, et leur politique est basée sur le volume, ce qui est logique, c’est l’essence même du rôle de grossiste : gagner sur la quantité. Certains mettent en place des politiques tout à fait avantageuses pour les revendeurs, et les aident au quotidien dans la recherche de solutions. On pourra reprocher à certains de trop écouter leurs sociétés d’assurances crédits et de ne pas prendre assez d’initiatives sur les encours accordés aux revendeurs, mais comme les revendeurs, compte tenu de leurs faibles marges, les grossistes n’ont pas droit à l’impayé. Leur position peut donc être légitime. Pourtant, au cas par cas, les situations de certains revendeurs mériteraient d’être étudiées.

Le délai pour que chacun réagisse n’est pas énorme. Nous travaillons à très court terme. Tous les acteurs de la profession ont quelques mois pour tenter de réguler ce marché où chacun a une place. Cela suppose des accords viables entre les revendeurs, les constructeurs et les grands distributeurs. Les constructeurs doivent être conscients qu’ils sont les acteurs majeurs de la survie de tout un canal de distribution. Et donc, implicitement, de leur avenir.

Ce n’est pas du pessimisme, c’est de la réalité : j’en veux pour preuve Acer qui annonçait en août une perte de 170 millions d’euros, j’en veux pour preuve HP qui annonçait tout de même la plus grande restructuration de son histoire durant l’été, et au dernier trimestre avant publication de ces chiffres annuels, une baisse de son CA, et ses résultats qui s’effondrent, idem pour Asus qui annonçait en 2008 un CA en augmentation de 17 %, et un bénéfice en recul de 40 %, avec un record de pertes de 63 millions d’euros sur le dernier trimestre 2008, Toshiba avec une perte de 513 millions d’euros sur l’exercice 2009-2010 et annonçait fin 2011 la fermeture de 3 usines de fabrication de semi-conducteurs, Samsung avec une baisse de 25 % de son résultat au deuxième trimestre 2011, Sony avec un perte de 265 millions d'euros annoncée cette fin d'année… A croire que la politique des constructeurs les a rendus aveugles. Ou fous. Ce n’est pas la branche sur laquelle ils se reposaient qu’ils sont en train de scier, mais le tronc de l’arbre tout entier !

La main est tendue. Il faut qu’ils sachent la saisir tant qu’elle est encore visible.
 
ITR news

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire