mardi 20 mars 2012

Google et la vie privée des internautes

20/03 | 07:00 | mis à jour à 07:22 | Nicolas Rauline
C'était il y a presque un an. A la surprise générale, Google profitait de la publication de ses résultats du premier trimestre 2011 pour annoncer une réorganisation de sa direction : Eric Schmidt quittait son poste de directeur général pour redonner les commandes à Larry Page. Le cofondateur du moteur de recherche, alors dans l'ombre, revenait pour lui réinsuffler un « esprit start-up ».
Son mot d'ordre ? Arrêter de se disperser dans des services peu rentables pour faire passer la stratégie de « socialisation » au premier plan. En clair, pour éviter de se faire dépasser par Facebook, Google devait se positionner sur le social, les relations interpersonnelles, la recommandation, nouvelles portes d'entrée du Web. D'abord orientée vers le coeur de métier de Google, la recherche - avec un système astucieux de résultats recommandés, donnant la priorité aux sites plébiscités par les utilisateurs, et notamment vos amis -, la stratégie est allée encore plus loin depuis le lancement de Google+, qui devait être la pierre angulaire de cette transformation.
Pour mener à bien cette stratégie, Google dispose d'atouts. En premier lieu sa position sur le « data », devenu la matière première de ce Web nouvelle génération. La donnée, c'est justement le principal actif de Google. Les informations contenues dans les requêtes, les habitudes de consommation des utilisateurs de YouTube, mais aussi les informations contenues dans les e-mails des utilisateurs de Gmail, le comportement des internautes vis-à-vis de la publicité... Le géant du Web possède une source inépuisable de données. Il ne restait qu'à l'organiser pour pouvoir exploiter le principal levier de croissance des prochaines années sur Internet : la publicité ciblée.
Cette organisation devait se faire via Chrome et Google+. Le premier est une réussite : le navigateur a réussi à capter une part de marché de plus de 15 % en quelques mois à peine, grâce à des efforts de communication et de marketing sans précédent pour Google. Mais il est plus facile de faire changer les habitudes des internautes sur les navigateurs que sur les réseaux sociaux, où Facebook a acquis un avantage comparatif décisif : pourquoi changer de réseau si tous ses amis y sont également et si on y a stocké quasiment toute sa vie en ligne ?
Google y a pourtant cru. Mais, en couplant les profils Google+ aux comptes Gmail, le géant a semblé vouloir forcer la main des internautes. Et la promotion à outrance du nouveau réseau social a conduit la société à commettre ses premières grandes erreurs, comme celle révélée par le « Wall Street Journal » : Google avait mis au point un système permettant de traquer les faits et gestes des utilisateurs de Safari, le navigateur d'Apple, qui équipe les iPhone et iPad. Une pratique involontaire, jure la société, mais qui a sérieusement entaché son slogan « Don't be evil » (ne fais pas le mal).
Pour l'heure, rien n'y fait : les internautes continuent de délaisser Google+, qui, en moyenne, retient ses utilisateurs... trois minutes par mois, quand Facebook attire les siens plus de six heures et demie, en moyenne. Pour combler son retard, Google a donc décidé de mobiliser toutes ses forces : Gmail, Youtube, lui aussi très chronophage chez les internautes, et, bien sûr son moteur de recherche, qui demeure malgré tout la principale porte d'entrée du Web.
Sa nouvelle « politique de vie privée » répond à la même logique. Car, en adoptant une charte unique pour la plupart de ses sites, visant à simplifier les règles d'utilisation de ses services, Google s'est surtout offert la possibilité d'utiliser les informations données par l'internaute pour lui proposer de la publicité ciblée. Exemple : il peut désormais se baser sur vos requêtes sur le moteur de recherche, ou sur les mots-clefs contenus dans des e-mails pour vous proposer de la publicité correspondant à vos goûts sur YouTube.
Au risque de froisser pas mal de monde... Google s'est ainsi attiré les foudres des autorités de protection de la vie privée. La CNIL a demandé un report - non accepté -de ces nouvelles règles. Et Bruxelles a ajouté le dossier à l'imposante pile consacrée au moteur de recherche.
La fébrilité dont fait preuve Google l'expose à une autre menace : celle de se couper d'un écosystème dont il a certes alimenté la croissance, mais dont il est aussi dépendant. Dans sa conquête obsessionnelle du « data », Google a commencé à crypter les requêtes des internautes à partir du moment où ceux-ci sont connectés à leur identifiant Gmail. Du coup, les éditeurs de sites, habitués à consulter des statistiques très précises sur l'origine de leur trafic, ont vu disparaître du jour au lendemain des informations précieuses. « Anecdotique », assure-t-on chez Google. Sauf que, selon une étude AT Internet publiée la semaine dernière, la part des requêtes indéterminées représente déjà plus de 20 % du total aux Etats-Unis. Et, lors de la mise en oeuvre en France il y a deux semaines, elles sont passées en deux jours de 3,2 % à 12,3 %.
Un vrai coup dur pour des sociétés qui se sont positionnées sur l'exploitation anonyme du « data ». D'autant que le secteur s'irrite de plus en plus des décisions unilatérales de Google : comme le nouvel algorithme Panda, qui a fait chuter le trafic de plusieurs comparateurs de prix, ou ses agissements supposés réduisant la visibilité de ses concurrents, qu'ils soient des moteurs de shopping, des sites de recommandation de commerces ou des comparateurs de billets d'avion. Domaines sur lesquels Google a récemment pris position. Et les projets de Google risquent encore d'en hérisser plus d'un. Le moteur de recherche subira prochainement un lifting lui permettant de proposer des réponses directement sur ses pages, sans diriger vers un lien extérieur. Près de 20 % des résultats du moteur seraient concernés, privant d'autant de trafic des millions de sites Web. L'objectif est de capter de l'audience. Un nouveau pari de Google pour « simplifier » la vie des internautes. Le pari de trop ?
Nicolas Rauline est journaliste au sein du service High-Tech Médias des « Echos ».

Source:  http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0201956820706-google-et-la-vie-privee-des-internautes-303569.php?xtor=EPR-1500-[idees_debats]-20120320-[s=461370_n=9_c=903_]-409905656@1

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