dimanche 2 septembre 2012

Le livre numérique n'est pas celui que vous croyez

A lire sur: http://www.lesechos.fr/opinions/points_vue/0202207221430-le-livre-numerique-n-est-pas-celui-que-vous-croyez-352791.php?xtor=EPR-1500-[idees_debats]-20120814-[s=461370_n=9_c=907_]-409905656@1

DE FRÉDÉRIC MÉRIOT


Par Les Echos | 14/08 | 07:00
L'e-book, menace réelle ou illusoire pour le livre papier, suscite de nombreux commentaires. Pourtant, peu décryptent toute l'étendue de la transformation numérique en cours, profonde, mais... invisible. Elle reste cachée sous la forme rassurante et familière du livre imprimé. Mais elle peut déséquilibrer toute l'organisation de la chaîne du livre.
Du libraire à l'imprimeur, un nouveau marché émerge, tiré par la demande (le lecteur, ses choix) et non plus seulement poussé par l'offre (l'éditeur, ses propositions). Les libraires Internet sont au contact intime de leurs clients-lecteurs, exposent un fonds immense et détectent les tendances. A leur service, des entrepôts-grossistes de fichiers informatiques leur évitent des stocks coûteux de livres à faible rotation. Entre les deux, des « fabricants numériques » : formateurs de fichiers et imprimeurs à la demande sont capables de tirer vite et court pour répondre à toute commande au plus juste, quel que soit le format souhaité (e-book ou imprimé). Plus de « retours » à gérer, peu ou pas de stocks à financer, plus de pilon : tout livre imprimé est, par construction, livré et vendu au lecteur. Un vrai rêve d'éditeur !
Autoédition, courts tirages, ouvrages spécialisés, réimpressions, titres épuisés... L'ensemble de cette nouvelle économie du livre tirée par l'aval, en croissance de près de 20 % par an, propulse pourtant d'abord de nouveaux acteurs, dotés de nouveaux outils. Qu'ils se nomment Google, Apple, Microsoft ou Amazon, ils sont mus par des objectifs nouveaux : fréquentation des sites, parts de marché, publicité, abonnements, vente de tablettes... Et souvent le livre lui-même n'est qu'un produit d'appel.
Y a-t-il vraiment une menace à accueillir ces nouveaux alliés pour le livre et sa diffusion ? Ces nouveaux débouchés créent certes de nombreux nouveaux titres papier. Mais, en dispersant les ventes, ils font baisser les tirages moyens qui alimentaient les imprimeurs et les grossistes-distributeurs. Et les nouveaux entrants captent l'essentiel de la croissance : derrière quelques spectaculaires mais rares ultra-best-sellers mondiaux, le marché traditionnel reste en effet marqué depuis plusieurs années par une léthargie inquiétante. Sans aucune modification du livre perceptible par le lecteur, ces nouveaux marchés, certes porteurs de croissance, sont aussi porteurs de forts déséquilibres pour l'organisation traditionnelle des métiers du livre.
Faute d'un effort d'innovation important sur les solutions numériques, de diffusion et de logistique, les métiers du livre verront ce marché leur échapper. De nouveaux intervenants vont prospérer sur ces segments en croissance, pour s'emparer graduellement d'une partie plus importante des étapes de la chaîne du livre. Aux Etats-Unis, la guerre de positions est déjà engagée entre les éditeurs et des libraires Internet. Ces derniers équipent leurs entrepôts d'outils d'impression numérique, cherchent à mettre la main sur les fichiers, tentent aussi des incursions vers le coeur de métier de l'éditeur en négociant des droits directement avec des auteurs... Les escarmouches se multiplient, sur la détention des fichiers, sur les titres orphelins, sur le marché des livres d'occasion, sur les droits de fabrication des titres épuisés ou en réimpression. La bataille des frontières et des rôles démarre, pour une nouvelle répartition de la valeur du livre.
Ces changements du livre imprimé sont d'autant plus rapides et puissants qu'ils sont invisibles pour les lecteurs. C'est le moment de mettre les technologies numériques au service du renouveau des métiers traditionnels du livre. Seule cette alliance assurera au livre imprimé le maintien de sa modernité et sa prééminence.
Frédéric Mériot est dirigeant d'entreprises

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