mercredi 9 octobre 2013

Comment Internet déverrouille les professions réglementées

A lire sur:  http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0203041128694-comment-internet-deverrouille-les-professions-reglementees-612936.php

Par Nathalie Silbert Journaliste au service Enquêtes des « Echos »

Par Nathalie Silbert | 03/10 | 06:00 |

Sous la pression du numérique, des activités jusqu'à présent protégées de la concurrence vont devoir s'adapter. Pour encadrer cette mutation, il revient aux pouvoirs publics de fixer les nouvelles règles du jeu.

Pinel pour « Les Echos »
Pinel pour « Les Echos »
Jacques Attali en 2008 et, bien avant lui, Louis Armand et Jacques Rueff, auteurs du célèbre rapport « pour la suppression des obstacles à l'expansion économique » remis en 1960, en avaient rêvé. Internet est en train de le faire. L'avènement de la société numérique est en passe de déverrouiller des professions qui, dans le monde physique, avaient ancré leurs positions en se protégeant derrière des barrières à l'entrée. Omniprésent depuis des années dans le secteur des médias, du commerce ou du voyage, Internet gagne en effet des secteurs préservés jusqu'alors de la concurrence par des réglementations ou des restrictions comme les taxis, les pharmaciens, les opticiens, les agences matrimoniales, etc. Si l'impact de ce mouvement est pour l'instant limité, personne n'est dupe. Sous la pression du numérique, les contours de ces activités vont évoluer. Et il revient aux pouvoirs publics, pris en tenaille entre la volonté de satisfaire le consommateur, de créer des emplois et le lobby des acteurs traditionnels, de prendre position.
De fait, Internet change la donne. Tout d'abord, il fait sauter les verrous à l'entrée en permettant l'arrivée de nouveaux acteurs. Les taxis, dont le nombre en circulation est limité par les attributions de licences (celles-ci relevant des maires ou du préfet de police) assistent ainsi à l'émergence d'une nouvelle catégorie d'acteurs roulant sur leur plates-bandes - les voitures de tourisme avec chauffeur, les VTC que l'on peut réserver et régler en ligne. Un service favorisé par l'explosion des smartphones et de la géolocalisation. L'optique - déjà concurrentielle avec plus de 23.500 boutiques, quoique protégée par des exigences de formation professionnelle - a pour sa part vu débarquer des « pure players » comme le groupe Sensee.
Ensuite, avec Internet, la zone de chalandise, s'affranchissant de la proximité, s'étend a minima à l'Hexagone. Pour les opticiens ou pour les pharmaciens, soumis à des restrictions d'installation (une officine pour 2.500 ou 3.000 habitants), cela représente l'opportunité de trouver de nouveaux débouchés surtout pour ceux installés dans des zones rurales touchées par la désertification. A l'inverse, le consommateur français peut aussi commander ses médicaments en ligne sur un site allemand à condition qu'il respecte la réglementation en vigueur en France.
Pour le consommateur, l'irruption de la Toile doit se traduire par une amélioration du service en créant une offre nouvelle, plus diversifiée et mieux adaptée à ses besoins. Par exemple, le développement des VTC vise à pallier la pénurie de voitures aux heures de pointe. Cette concurrence doit amener les acteurs traditionnels à se moderniser et même, dans certains secteurs, à faire baisser les prix. Scénario validé récemment par la Cour des comptes pour le marché de l'optique. C'est déjà le cas concernant le segment des lentilles de contact, sur lequel le groupe Internet Sensee (lentillesmoinscher) estime avoir fait baisser les prix de 30 %. Et son actionnaire majoritaire, Marc Simoncini, estime pouvoir diviser par deux ceux des lunettes grâce au Web.
Confrontés à l'arrivée des corsaires de la Toile, souvent imposée d'ailleurs par des directives européennes, les acteurs traditionnels demandent que leurs pratiques soient encadrées .
Ainsi, pour rétablir une concurrence équitable, disent-ils, les taxis voudraient imposer aux VTC un délai - de quinze minutes, voire plus - avant de prendre en charge le client. Au nom de la santé publique, les pharmaciens ont, eux, obtenu que seules les officines ayant pignon sur rue et agréées par l'Agence régionale de santé puissent ouvrir un site Internet. En l'état, la réglementation est toutefois moins stricte qu'ils ne l'espéraient. Entre autres, leur exigence que les prix sur la Toile soient alignés sur ceux pratiqués en officine a été rejetée.
En encadrant les acteurs du Web, les professionnels espèrent amortir le choc de la dérégulation entraînée par le numérique. Pour autant, le Net va inévitablement bousculer leur activité. A regarder ce qui se passe à l'étranger, cela pourrait certes prendre du temps pour la pharmacie. En Belgique, où la vente à distance de médicaments est autorisée depuis 2009, seules 184 officines avaient, selon l'Association des pharmaciens indépendantsbelges, notifié en avril 2013 la création d'un site en ligne. En revanche, sur le marché des lentilles de contact, le basculement est beaucoup plus rapide : la vente à distance dépasse déjà 10 % des ventes en volume en France. Enfin, tout le monde a en mémoire le cas extrême du site de rencontres Meetic qui a tué le courtage matrimonial.
Face à cette nouvelle donne, les pouvoirs publics hésitent. Pour eux, il s'agit d'assurer la protection du consommateur en encadrant les nouvelles offres en ligne. Pour ce faire, ils ont jusqu'à présent surtout choisi de dupliquer dans le numérique les règles en vigueur dans le monde physique. Cette politique présente toutefois un double risque. Le premier est que cet encadrement soit insuffisant. Ne serait-ce que parce que, à partir du moment où le numérique s'invite dans un secteur, il est exposé au piratage et à la contrefaçon. Or les contrôles sur la Toile sont difficiles. L'autre écueil est que, en se contentant de répondre aux attentes des acteurs traditionnels, les pouvoirs publics se privent du souffle qu'Internet pourrait donner à l'innovation, à la croissance et à la création d'emplois tant attendues.
Nathalie Silbert
Les points à retenir
Omniprésent depuis des années dans le secteur des médias, du commerce ou du voyage, Internet gagne des professions protégées jusqu'à présent par des réglementations, comme les taxis, les pharmaciens ou les opticiens.
Confrontés à l'arrivée des « corsaires » de la Toile, les acteurs traditionnels demandent que leurs pratiques soient encadrées.
En répondant trop à leurs attentes, les pouvoirs publics se priveraient du souffle qu'Internet pourrait donner à la croissance et à la création d'emplois.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire