lundi 6 janvier 2014

L'édition française face aux défis du numérique

A lire sur: http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0203186631110-l-edition-francaise-face-aux-defis-du-numerique-637009.php

Par Nathalie Silbert | 13/12 | 06:00

Pour le monde du livre, la révolution numérique est d'abord celle de l'e-commerce, qui a bouleversé les circuits de distribution traditionnels. Les éditeurs, quant à eux, n'ont pas encore constaté d'impact d'Internet sur les ventes avec le catalogue.

Pinel pour « Les Echos »
Pinel pour « Les Echos »
En 2009, la filière du livre, en France, s'inquiétait de l'irruption du numérique et s'interrogeait sur ses retombées. Le développement de l'e-commerce, l'apparition de la version électronique du bon vieux livre papier - l'e-book -, en plein essor aux Etats-Unis, nourrissaient les craintes des éditeurs et des libraires sur le maintien de leur modèle économique, ainsi que sur la création et le fonds éditorial. Cinq ans plus tard - une éternité à l'échelle du numérique ! -, où en est-on ?
Premier constat, c'est le développement de l'e-commerce qui a créé l'onde de choc initiale dans la chaîne du livre, et non l'apparition de l'e-book, encore balbutiant. L'acteur dominant, Amazon, ne divulgue plus aucune donnée. Mais les professionnels estiment que, en 2013, la part des ventes sur Internet de livres imprimés a avoisiné 12 % (contre 3,2 % en 2005). Chaque année, l'e-commerce grignoterait désormais un point de marché. Au détriment notamment de la librairie traditionnelle : en 2012, celle-ci représentait moins de 39 % des ventes en volume, contre 41 % deux ans plus tôt, selon une étude de l'institut d'études GfK pour le Syndicat de la librairie française (SLF). Les librairies dotées d'un fonds éditorial riche résistant beaucoup mieux...
Cette concurrence nouvelle de la Toile porte une responsabilité dans la défaillance des magasins Virgin en début d'année et a contribué à la mise en cessation de paiements, le 2 décembre, de la chaîne Chapitre, même si ses difficultés tiennent aussi à d'autres facteurs. Pour les éditeurs, chaque fermeture d'un commerce physique s'accompagne d'une perte de ventes, Internet ne compensant que partiellement.
L'arrivée du livre en format numérique, tant redoutée, n'a en revanche pas été la révolution annoncée : malgré l'explosion du parc de tablettes (6 millions vendues cette année), l'e-book occupe une place encore marginale dans le paysage. Il représente à peine 3 % du chiffre d'affaires de l'édition en France, contre 22 % aux Etats-Unis, freiné par son prix élevé et une offre trop réduite.
Deuxième constat : le numérique permet, certes, une meilleure exposition du fonds éditorial (des oeuvres publiées depuis plus d'un an), mais celle-ci profite plus aux lecteurs qu'aux éditeurs. Contrairement à ce que ces derniers espéraient, en effet, Internet n'a pas permis un réveil des ventes des titres anciens du catalogue, en baisse depuis des années. Sur la Toile, la place n'est pas comptée. Ce qui permet à Amazon ou au site de la FNAC de revendiquer une offre exhaustive, correspondant à la quasi-totalité des catalogues des maisons d'édition hexagonales - soit plus de 800.000 titres. De ce point de vue, l'offre des nombreux libraires traditionnels présents sur le Web n'a rien à envier à celle des poids lourds du Net. Les uns et les autres s'efforcent de faire vivre le fonds grâce à des animations (célébration d'une thématique ou d'un auteur). Certains, comme Amazon, conseillent aussi des ouvrages en fonction des affinités des lecteurs. De son côté, la librairie ayant pignon sur rue n'a pas la place de stocker autant de références qu'une librairie virtuelle. Les titres du fonds tournant peu, elle se concentre sur ceux qu'elle juge indispensables.
Internet est ainsi devenu le canal de distribution qui vend le plus de titres différents. Ce que démontre l'étude menée par GfK pour le SLF en début d'année. A la FNAC, ou dans une chaîne comme Decitre, le poids relatif du catalogue est même plus important sur le Web qu'en librairie physique. Et, à en croire Amazon, les ventes de titres de plus d'un an représenteraient 70 % de ses ventes.
Pour autant, le numérique n'a pas permis la redynamisation espérée par les éditeurs des ventes des titres du fonds (la « longue traîne » prédite par certains avec l'arrivée d'Internet). Et ce pour plusieurs raisons : d'abord, les meilleures ventes sur Internet sont les mêmes que celles réalisées dans les librairies traditionnelles. Ce sont des best-sellers ou des nouveautés en général repérées, puis portées par la librairie. Par ailleurs, les achats d'oeuvres du catalogue se dispersent sur des milliers de titres. Rares sont donc ceux qui concentrent un intérêt massif, sauf événement (anniversaire, célébration, etc.). Enfin, sur Internet, le livre neuf est en concurrence avec le livre d'occasion, moins cher. Et, sur ces ventes de deuxième main, les éditeurs ne perçoivent rien.
Pour sa part, l'e-book a jusqu'à présent plutôt favorisé les nouveautés et les titres en résonance avec l'actualité. Ou des classiques dans le domaine public et téléchargeables gratuitement sur une liseuse ou une tablette, qui, par définition, ne rapportent rien à l'éditeur. Quant à la diversité éditoriale, même si elle reste une préoccupation au vu des évolutions en cours (fragilisation de la librairie physique, recul des tirages par ouvrage, etc.), elle n'a pas, à ce stade, été touchée, les éditeurs publiant toujours autant.
L'apparition de l'Homo numericus est peut-être, enfin, la principale source d'inquiétude pour le futur. Avec 36 heures en moyenne passées chaque semaine devant la télévision et l'ordinateur, selon une étude du Credoc parue en 2012, ce dernier consacre de moins en moins de temps à la lecture. Le marché du livre pourrait achever l'année en baisse de 2 % à 3 %. Toutes les études montrent que, ces dernières années, les « gros » lecteurs cèdent la place à de petits lecteurs qui lisent moins de cinq livres par an. Une tendance qui préfigure un changement de modèle économique et culturel pour le monde du livre.
Nathalie Silbert
 Journaliste au service Enquêtes des « Echos »

Les points à retenir
D'après les professionnels, la part des ventes sur Internet de livres imprimés a avoisiné 12 % en 2013 ; l'e-book pèse 3 % du chiffre d'affaires de l'édition.
L'e-commerce grignoterait chaque année 1 point de part de marché. Au détriment de la librairie traditionnelle notamment.
Malgré l'exhaustivité de l'offre sur le Net, les éditeurs ne voient pas d'impact significatif sur les ventes du fonds, en recul depuis des années.

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