jeudi 20 mars 2014

FGI 2014 : la neutralité du Net, "ça dépend"

A lire sur: http://www.zdnet.fr/actualites/fgi-2014-la-neutralite-du-net-ca-depend-39798420.htm

Législation : Le Forum de la gouvernance Internet s'est penché hier sur l'épineuse question de la neutralité du Net. Entre discours intéressants, manque de perspectives et pièce de théâtre.

Ils sont ingénieurs, représentants d'opérateurs, de multinationales, d'institutions, chercheurs ou militants associatifs. Tout le monde est là, connaît son sujet ou la ligne à suivre. Un joli théâtre qui s'est répété de nombreuses fois ces dernières années. Toujours intéressant, rarement porteur de changements. Et si ?
Et si c'était la bonne ? Certes, on ne voit pas le Forum de la gouvernance Internet, organisé hier à Paris et au sein duquel se tenait cette conférence "Le réseau peut-il rester neutre ?", comme tremplin à une nouvelle législation progressiste. Mais le Paquet en cours de discussion au Parlement européen doit apporter un cadre législatif durable pour l'Union.
L'Europe débat 
Le bon moment, sans doute, pour faire revenir la question de la neutralité du Net sur la table. Les propositions de Neelie Kroes,en proie à la polémique, ont mis face-à-face deux visions de ce que devrait être Internet. Visions que l'on retrouve sur la scène de l'hémicycle, au Conseil économique, social et environnemental.
Vision d'opérateur, en la personne d'Eric Debroeck, directeur des affaires réglementaires d'Orange : "Nous sommes favorables à la neutralité du Net, mais ça dépend de ce qu'on entend" par là. Un débat "vieux de quinze ans", rappelle Luca Belli, de la Dynamic coalition on Network Neutrality :
"La question a toujours été 'Qu'est-ce que c'est ?' La réponse est un principe de non-discrimination de l'information qui passe sur Internet, par tout type de fournisseur d'accès." Un principe qui "maximise la liberté d'expression et la liberté de diffusion de l'innovation."
Luca Belli en réfère à Tim Wu, professeur de droit américain qui a diffusé le concept en 2003. Soit quatre principes, désormais connus, interdisant la discrimination selon le contenu (et donc son examen), selon l'expéditeur ou le destinataire des paquets, selon le protocole, et enfin pas d'altération du contenu.
Oui, mais "ça dépend". D'abord parce que la concurrence est, selon Orange, l'un des aspects essentiels du problème. Ensuite parce qu'il "faut regarder l'ensemble de la chaîne de l'Internet. Les vrais problèmes de la neutralité du Net en Europe sont ailleurs que dans la fonction d'accès".
Une pique aux acteurs 'over the top' (les grands services édités sur le réseau qui aspirent toute la bande passante) dont Eric Debroeck ne pouvait pas se passer, d'autant qu'elle a le mérite de dédouaner son employeur. Et de plaider pour la défense des "services spécialisés fournis par les opérateurs d'accès".
Des services qui permettent aux FAI de générer des revenus (TV sur IP, etc), et de ne pas laisser la création de valeur aux Google, Facebook, Apple, Microsoft et consorts. Des services qui nécessiteraient une entorse au principe de neutralité, puisqu'il faut bien réserver de la bande passante pour la TV via Internet, par exemple. Neelie Kroes ne dit pas autre chose.
Les opérateurs estiment d'ailleurs - ne citons pas à nouveau Orange, qui a le mérite d'être l'éternel épouvantail des réunions sur la neutralité du Net - que le management des réseaux est indispensable : "Ca sert à éviter que les réseaux soient congestionnés." Et vu l'asymétrie des flux entre les grands réseaux (relire les notions sur l'interconnexion), il faut prioriser, disent-ils.
Pierre Beyssac n'est pas tout à fait d'accord. Le cofondateur de Gandi, qui siège au conseil scientifique de l'Afnic, "il n'y a que les telcos qui réclament du management de trafic". Notamment, explique-t-il, parce qu'ils n'ont pas fait le choix de "l'abondance" :
"Les telcos ont souhaité monétiser au maximum les investissements qu'ils avaient faits, alors que l'informatique a toujours joué l'abondance et les économies d'échelle." Et de rappeler le principe du "coupe-file", métaphore de la priorisation de certains abonnés : "Quand il y a une file d'attente, on peut proposer un service de coupe-file, donner la priorité pour passer devant les autres. Pour que ça ait un sens, il faut une pénurie, donc une file d'attente."
En ne faisant pas le choix de l'abondance - et donc du dimensionnement approprié, voire du surdimensionnement des réseaux à l'époque - les opérateurs n'ont pu ou voulu éviter une saturation. Ce qui ne peut se régler que par une différenciation des politiques tarifaires. "Le problème, c'est que cela incite les opérateurs à entretenir un réseau à la limite de la saturation."
"Ca dépend" 
Ce qui semble plaider pour une législation forte. Mais Pierre Beyssac tempère : "Il y a des choses à protéger, mais il faut le faire avec tact et éviter de perturber les fondements d'Internet."
Quant à l'asymétrie entre les réseaux, elle serait liée à un choix technique : le DSL. Ce qu'Orange ne veut pas qu'on lui reproche, après les efforts faits - et encouragés - pour le développement du cuivre à l'époque.
La torpeur s'installe, entre définitions vues et revues parfois, points de vue juridiques intéressants et, de temps en temps, débuts de dialogues de sourds avortés. Jusqu'à ce début de réponse de Francesca Musiani, chercheuse au centre de sociologie de l'innovation à Mines ParisTech :
"Depuis que je m'intéresse au sujet, je me rends compte qu'on a tendance à le saisir par les bouts les plus polémiques. Dans ce qui intéresse les infrastructures de l'Internet, c'est le plus médiatisé." Ce qui charrie son lot de discours sur la mort de la neutralité, la mort d'Internet, la résurrection du vrai Internet ou la réincarnation en mouche de la vraie neutralité.
Si la neutralité est un facteur favorisant "la liberté d'expression" et "celle d'innovation", comme le répète Luca Belli, l'un des principaux problèmes reste qu'elle n'est toujours pas clairement définie. Et ce, après des années de débat. On peut même se demander si elle le sera un jour... d'un point de vue technique.
La définition de Tim Wu ne semble pas suffisante, et les apports successifs font la part belle aux intérêts de chacun. Défense dans une stricte optique de libertés individuelles, conservation de prés carrés ou peur de tuer l'innovation, intérêts en tous genres... On ressort parfois dérouté de ces réunions, qui se ressemblent souvent.
Or, quand il est difficile de trouver une définition à un problème soulevé à maintes reprises, c'est normalement... le rôle du législateur d'en dégager une qui fasse, sinon consensus, du moins loi. Ce qui pose finalement la vraie question : la neutralité du net, c'est pour quand ? "Ca dépend."

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