mercredi 9 avril 2014

Gouvernance du Net : pourquoi Washington lâche du lest

A lire sur: http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0203393474951-gouvernance-du-net-pourquoi-washington-lache-du-lest-659521.php

Par Nicolas Rauline Journaliste au sein du service High Tech Médias des « Echos »


Par Nicolas Rauline | 25/03 | 06:00

Impliqués depuis l'origine dans la gestion de la Toile, les Etats-Unis sont prêts à transférer leurs compétences à la communauté internationale. Une évolution en partie liée à l'affaire Snowden, qui répond aux souhaits de géants comme Google ou Facebook.

Françoise Ménager pour « Les Echos »\'
Françoise Ménager pour « Les Echos »'
L'information a surpris, par sa promptitude et son caractère péremptoire. Les Etats-Unis ont accepté, il y a une dizaine de jours, de transférer leurs compétences sur la gouvernance d'Internet à la communauté internationale. Une annonce historique puisque le gouvernement américain a toujours été impliqué dans la gestion d'Internet. D'abord directement, puisque le département américain à la Défense a longtemps contrôlé lui-même la gestion des noms de domaine - Internet était à la base un projet mené par l'armée américaine. Puis indirectement. En 1997, l'administration Clinton décide de « privatiser » la gestion de la racine Internet. Le département américain du Commerce est chargé de désigner l'organisme qui gère la fonction Iana et la racine DNS. Des maillons essentiels puisque ces dernières permettent de faire fonctionner le réseau et d'associer un nom de domaine à un site Internet. C'est ce qui fait que, en tapant l'adresse d'un site, on peut accéder au contenu qui s'y trouve. En 1998, l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann) est créé. L'organisme gagne le contrat de gestion de la fonction Iana, qu'il assure depuis (le contrat est régulièrement renouvelé et court jusqu'en septembre 2015).
Le département américain au Commerce conserve donc un pouvoir discrétionnaire sur la gestion des ressources Internet. D'autant que l'Icann demeure un organisme sous influence américaine. Outre le contrat qui le lie au gouvernement, l'Icann est une société à but non lucratif de droit californien, basée à Los Angeles. Et tous ses présidents ont été, jusqu'ici, américains jusqu'à l'actuel, Fadi Chehade, qui possède les nationalités américaine, égyptienne et libanaise. Une grande partie des membres du conseil d'administration sont également américains. Sans compter que le « .com », extension la plus répandue pour les noms de domaines (environ la moitié des sites Internet dans le monde), reste géré par Verisign, une entreprise américaine.
La question de l'omniprésence américaine dans la gouvernance d'Internet n'est pas nouvelle. De nombreux Etats demandent l'ouverture du débat depuis plusieurs années. Mais, jusqu'ici, le gouvernement refusait de céder ce que beaucoup d'Américains considèrent comme une ressource nationale. Qu'est-ce qui a donc pu inciter l'administration Obama à changer de cap ? D'abord, il ne faut pas négliger l'onde de choc générée par l'affaire Snowden. En révélant au monde entier la surveillance généralisée des réseaux, Edward Snowden a aussi fragilisé la position des Etats-Unis. L'Europe, longtemps alliée à l'Amérique dans les institutions de gouvernance d'Internet, a vivement réagi. Les pays en voie de développement en ont profité pour aiguiser leurs critiques envers le système. Et certains Etats autoritaires, comme la Chine ou la Russie, ont vu dans cette situation l'occasion rêvée d'exiger un pouvoir renforcé des Etats sur la gestion d'Internet.
C'est peut-être ce qui a incité les Etats-Unis à lâcher du lest. D'autant qu'un courant favorable à ce transfert de compétences s'est aussi développé, ces dernières années, outre-Atlantique. Même les géants comme Google et Facebook ont fait pression récemment pour changer les règles. Leur vision : l'affaire Snowden pourrait entraîner une méfiance accrue et inciter les Etats à se replier sur eux-mêmes, à développer de vraies alternatives nationales, dans le cloud, par exemple. Montrer des signes de bonne volonté permettrait donc de restaurer la confiance et bénéficierait in fine à l'économie américaine, dont le redressement est en partie lié au dynamisme de ses géants du Net. Alors que certains crient au loup, à l'Icann, on affiche sa confiance dans le processus de transition. « Les Etats-Unis ont de nouveau montré qu'ils sont les bienfaiteurs d'Internet et que leur vision n'est pas étriquée, explique l'un de ses membres. En prenant cette initiative, ils coupent l'herbe sous le pied de certains Etats ou d'organisations internationales qui lorgnaient plus de pouvoir. » C'est le cas notamment de l'Union internationale des télécommunications (UIT), une agence des Nations unies.
En outre, la déclaration américaine est claire. Elle confie à l'Icann le rôle d'assurer la transition, confortant ainsi sa position. Et l'administration Obama pose ses conditions : la future gouvernance d'Internet devra reposer sur un modèle multi-acteurs, associant Etats, organisations internationales et société civile. Elle devra aussi aller dans le sens des intérêts des utilisateurs et garantir la continuité d'un Internet libre et ouvert. Sans cela, les Etats-Unis pourraient stopper le processus…
Un an et demi ne sera pas de trop pour parvenir à un accord, tant les divergences sont grandes. L'Icann a commencé à auditionner les acteurs du secteur. La prochaine conférence Netmundial à Sao Paulo les 23 et 24 avril, organisée à l'initiative de la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, devrait aussi nous éclairer sur les forces en présence. Le Brésil est décidé à jouer un rôle dans la prochaine gouvernance. Le pays s'est doté de règles novatrices en la matière et pourrait tenter de concilier les différentes positions. Cette conférence, à laquelle doivent participer des représentants américains, en dira certainement plus sur les intentions de Washington. Débouchera-t-elle sur la création de nouvelles institutions ? Ces derniers mois, l'Icann a mis sur la table de nouveaux sujets, comme les luttes contre la cybercriminalité, la pédopornographie ou le spam, qui ne disposent pas d'institutions internationales. De passage à Paris il y a un mois, Fadi Chehade confiait aux « Echos » : « La gouvernance d'Internet doit s'inspirer de ce qu'est Internet : quelque chose d'ouvert, de participatif, de distribué, légitime et efficace. » Les Etats-Unis pourraient bien, dès lors, négocier quelques compensations au sein de nouvelles institutions...
Par Nicolas Rauline
Journaliste au sein du service High Tech Médias des « Echos »

Les points à retenir
Washington a consenti à transmettre ses prérogatives en matière de gouvernance d'Internet.
Le gouvernement américain demande toutefois des garanties sur le futur modèle, qui devra être multiacteur et assurer un Internet libre et ouvert.
Une position qui court-circuite les intentions de certains, comme la Chine ou la Russie, qui demandent plus de contrôle des Etats sur Internet.

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