lundi 7 avril 2014

Internet et réseaux sociaux: quels effets sur notre rapport au corps?

A lire sur: http://www.lexpress.fr/styles/psycho/internet-et-reseaux-sociaux-quels-effets-sur-notre-rapport-au-corps_1502001.html

Par , publié le 

Sites ou blogs consacrés à la promotion de corps parfaits, selfies en rafale, photos de profil retouchées... Notre rapport au corps et à l'image s'est trouvé modifié face à la multiplication des réseaux sociaux. Décryptage. 


Internet et réseaux sociaux: quels effets sur notre rapport au corps?

"Les situations dans lesquelles le corps est observé ou évalué provoquent une augmentation de cette insatisfaction corporelle", commente Rachel Rodgers, docteur en psychologie.

Getty Images/iStockphoto

Jeanne a 14 ans et l'une de ses activités préférées consiste à se prendre en photo avec son portable à bout de bras. Photos qu'elle poste ensuite sur FacebookInstagram, ou qu'elle envoie viaSnapshat. Non sans les avoir au préalable "un peu arrangées grâce à une appli qui corrige la lumière ou même gomme les boutons". Jeanne est également fan de nombreuses blogueuses et "instagrameuses", qu'elle suit notamment "pour leur sens de la mode" mais surtout "parce qu'elles sont trop belles et hyperminces". Elle même jolie comme un coeur, avec quelques rondeurs adolescentes, "rêve d'avoir des jambes plus longues et devrais abdos". 


Même fascination pour ces images de corps parfaits chez Sandrine, 39 ans, qui épingle sur son Pinterest des clichés de femmes faisant du yoga: "ça me motive de les voir aussi sveltes et souples. Quand j'ai envie d'un carré de chocolat, je les regarde, ça me permet de résister, au moins pour un temps".

Jeanne et Sandrine, chacune à leur façon, ont modifié le rapport qu'elles ont avec leur propre image, depuis qu'elles sont devenues accros aux réseaux sociaux, devenant bien plus exigeantes avec elles-mêmes. Un phénomène encore peu étudié, mais qui commence à intéresser les chercheurs comme Rachel Rodgers, docteur en psychologie et professeur associée à Northeastern University, à Boston. Selon cette dernière, il se dessine une corrélation entre la multiplication des images de corps idéaux sur ces nouveaux médias et les troubles du comportement alimentaire.Décryptage. 

Sur Internet, le corps est évalué à coups de "likes"

"Il est maintenant bien établi que la présence des images de corps "idéaux" et standardisés dans la presse écrite ou la télévision sont associées à l'insatisfaction corporelle et aux comportements decontrôle du poids et de l'apparence physique", explique Rachel Rodgers en préambule. Si l'effet des médias tels que Facebook, Tumblr, Instagram, blogs, etc, "n'a commencé à être étudié dans ce cadre que plus récemment, les données dont nous disposons montrent un impact très similaire", ajoute la chercheuse.  
"Les situations dans lesquelles le corps est observé ou évalué provoquent une augmentation de cette insatisfaction corporelle" et de la volonté de maigrir, poursuit-elle. Une évaluation qui est en l'occurrence constante sur les réseaux sociaux, chaque cliché publié étant gratifié de "likes", qui, lorsqu'ils ne sont pas assez nombreux, provoquent vite une certaine vexation. Jeanne et ses amies par exemple suppriment très vite de Facebook ou d'Instagram "les photos qui ne sont pas tout de suite likées. Ça veut dire qu'on est moche dessus". "Nous réalisons en ce moment une recherche sur l'utilisation d'Instagram chez les adolescentes. Notre hypothèse part du postulat qu'utiliser cette application augmente les préoccupations autour de l'image corporelle et du poids. J'espère que nous aurons bientôt des données à l'appui", commente Rachel Rodgers. 

Facebook, Instagram: de nouveaux canaux dans le contexte global du diktat de l'apparence

Attention, précise cette dernière, "les nouveaux medias doivent toujours être replacés dans le contexte social plus large". En effet, la société moderne met très fortement l'accent sur l'apparence physique et présente le corps comme modelable à souhait, pour peu de motivation et des moyens financiers suffisants (ce qui est évidemment loin de la réalité!). Dans ce contexte la grande majorité des femmes, et une proportion croissante des hommes sont insatisfaits de leur image. Les applications telles que Facebook ou Instagram viennent donc se greffer sur un message déjà omniprésent et unifié sur le sujet.  
De même, s'agissant des sites "pro-ana" (faisant l'apologie del'anorexie et de l'extrême maigreur), Rachel Rodgers observe qu'ils ont eux aussi un effet délétère. "Il a été prouvé que la consultation de ces sites peut avoir des effets sur les comportements alimentaires qui dureraient jusqu'à trois semaines", rapporte-t-elle. "Nos enquêtes montrent que beaucoup de jeunes filles qui font partie de ces communautés en ligne "pro-ana" disent avoir été à la recherche de conseils de perte de poids quand elles ont rejoint la communauté. Ces "conseils" sont souvent particulièrement néfastes, et représentent des comportements très extrêmes et nocifs
"Par ailleurs, poursuit Rachel Rodegrs, "beaucoup de sites moins radicaux vantent les mérites d'un corps mince et musclé, avec en général des photos modifiées qui présentent des silhouettes 'parfaites', impossibles à atteindre." Pour exemple, le tumblr Je suis bonne, l'un des préférés de Sandrine. Pas ouvertement "pro-ana", il est constitué d'images de femmes sportives, de nourriture ultra-saine dépourvue de la moindre once de gras et d'incantations à l'effort: "Make yourself proud" ("Rends-toi fière"), "You are what you eat" ("Tu es ce que tu manges), etc. De nombreuses blogueuses publient également régulièrement des billets "d'inspiration" sur le même modèle, censés refléter ce à quoi elles aspirent. A savoir: des thigh gap bien prononcés, des seins haut perchés et des jambes interminables. 
>>> A lire aussi: le post de blog de Café Mode sur lathinspiration "Trop bonne pour être vraie" 

Du sentiment d'infériorité à l'auto-dénigration

Une imagerie et un lexique qui ne peuvent là encore que renforcer un sentiment d'infériorité parfaitement résumé par Sandrine: "Les jours où j'ai craqué sur du sucre ou du gras, regarder ces photos me donne l'impression d'être une grosse vache sans volonté". Ce qui ne l'empêche pas d'y revenir: "c'est comme une drogue, je crois". Le mécanisme semble implacable: pensant se servir de ces photos comme d'un garde-fou contre ses compulsions alimentaires, Sandrine tombe dans le piège de la restriction cognitive et de l'auto-dénigrement. Tous deux provoquant la plupart du temps une envie de manger, selon les études de médecins du GROS commeJean-Philippe Zermati ou Gérard Apfeldorfer.  
Il existe néanmoins un point positif relatif à la multiplication de ces réseaux, pointe Rachel Rodgers. A savoir, le soutien qu'ils peuvent représenter pour certain(e)s. Par ailleurs, souligne-t-elle, il existe aussi "beaucoup de groupes, forums parlant des "non-idéaux" corporels et de modes de vie beaucoup plus sains". L'idéal, conclut-elle, "serait de pouvoir tirer profit de ces aspects-là, pour promouvoir l'importance de la santé plus que l'apparence." 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire